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La tentation nationaliste

samedi 11 février 2012, par Patrick Mignard

Voici revenu le temps des nationalismes ? Ce temps que l’on aurait pu
croire révolu, à une époque de mondialisation généralisée, de brassages
de populations, d’échanges internationaux, de « réduction des distances
 » et de l’explosion de la communication.

Ce phénomène terrifiant, qui a mis le monde à feu et à sang, deux fois
au 20e siècle, refait son apparition.

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NATION ET CAPITAL

Le capitalisme n’a pas toujours été ce que nous le voyons aujourd’hui.
Même si très tôt, il a su s’affranchir relativement des frontières
étatiques, par les circuits commerciaux qu’il a tissés, le noyau dur de
la révolution industrielle a eu un caractère essentiellement national.
C’est au sein des « états nation » que se sont forgés les appareils
industriels et financiers qui constituent aujourd’hui le capitalisme
mondialisé.

Etat nation et Capital, sont, à l’origine, étroitement liés. Il n’en
demeure pas moins que leur évolution ne s’est pas faite au même rythme.
La distorsion existante entre les deux crée aujourd’hui un malaise
porteur de crises.

L’Etat nation a forgé une « identité nationale », c’est-à-dire un
sentiment d’appartenance à une communauté. Ce processus ne s’est pas
fait sans mal, et au prix de la destruction des particularités locales
(culturelles, politiques, linguistiques ? ). Cette identité a
profondément imprégné les esprits et même, et surtout, l’inconscient
collectif. Ce sentiment a été aussi, à son époque, largement exploité
par les « capitalismes nationaux » afin de défendre leurs intérêts
respectifs. Repeint aux couleurs du patriotisme, il a jeté dans la
guerre des millions d’individus. Et ce, aux plus grands bénéfices des
fabricants d’armes et autres industriels et financiers.

Le Capital, quant à lui, a su à la fois profiter de la protection des
frontières de l’Etat-nation, et s’en affranchir lorsque ses intérêts
l’ont fait se diriger vers d’autres horizons.

Nation et Capital n’ont fait « bon ménage » qu’un temps. Le temps que
le Capital trouve des opportunités en dehors des frontières pour se
mondialiser. Les entreprises nationales sont devenues multinationales,
transnationales et la vieille période coloniale a laissé la place à un
pillage autrement plus organisé, quoique sur d’autres bases, des
richesses de la planète (hommes et ressources).

Cette distorsion, qui nous paraît évidente aujourd’hui, c’est faite
progressivement, sans que nul n’en imagine les conséquences. Surtout
que l’attention était « plombée » par une conception politique qui s’est
avérée catastrophique.


DE L’INTERNATIONALISME PROLETARIEN A ...

En effet, pendant que le Capital se développait suivant sa propre
logique, les professionnels du changement social développaient le modèle
standard issu tout droit du 19e siècle et qui consiste à voir dans la
classe ouvrière, exploitée par le capital, le vecteur essentiel de la
transformation sociale. Très tôt, le slogan « Prolétaires de tous les
pays unissez vous ! » répondait par avance à ce qui allait devenir la
mondialisation du Capital. Or, et beaucoup ont encore aujourd’hui du mal
à l’admettre, cette classe ouvrière ne s’est pas du tout comportée comme
« théoriquement » elle devait se comporter : au lieu de se renforcer
comme instrument révolutionnaire, elle a tout fait pour s’intégrer et
profiter des miettes que pouvait lui accorder le Capital. Elle a même,
dans sa majorité, joué le jeu des impérialismes, dans une ferveur
patriotique dont était bien incapable le capital, servant de « chair à
canon » dans des conflits où elle avait tout à perdre.

Bien sûr les discours, manifestations, organisations, n’ont pas manqué.
La constitution d’un « mouvement communiste international », suite à la
« révolution bolchévique » a fait croire à la réalisation d’un monde
nouveau. L’expérience du stalinisme, des schismes internes,
l’effondrement du « soviétisme » ont dissipé tous ces espoirs moins
d’un siècle après la première expérience.

Qui peut aujourd’hui parler d’un mouvement international des
prolétaires, des salariés ? Qui peut identifier ce que l’on appelait au
19e et même au 20e siècle, la « classe ouvrière industrielle, fer de
lance de la révolution » ? Qui peut aujourd’hui affirmer que le système
du salariat est le « grand unificateur » des luttes ?

On peut, bien sûr, l’affirmer, dans des « déclarations de principes ».
Mais la réalité est toute autre ! La méthode Coué a rarement accouché
d’une stratégie révolutionnaire !!

Le capital a façonné la société suivant ses stricts intérêts. Il a même
fait mieux, il a su quand cela lui paraissait utile « lâcher du lest »
aux salariés, leur accorder des acquis, que ces deniers croyaient
définitifs, pour, quelques générations plus tard, leur reprendre en
faisant croire qu’il y était obligé !


LA MONDIALISATION DU CAPITAL

C’est donc bien le Capital qui a imposé sa vision de l ’organisation du
monde, et non ses adversaires. Après avoir utilisé au maximum la force
de travail dans les pays de sa naissance, il est allé exploiter au-delà
de ses frontières originelles une force de travail beaucoup plus
rentable au regard de ses intérêts. Il a su s’affranchir, par la
souplesse de son fonctionnement, des contraintes légales que lui
imposait les Etats, rendant en cela obsolètes et dérisoires les
politiques économiques nationales.

Profitant de la baisse de l’autorité et de la portée des politiques
nationales il a réussi à imposer une déréglementation généralisée des
mécanismes de la finance mondialisée (taux de change et taux
d’intérêt). Il a ainsi permis, en développant la spéculation
financière, de dépasser le cadre de l’économie réelle, faisant de
l’économie financière l’axe essentiel des processus d’enrichissement de
quelques uns et de l’asservissement du plus grand nombre.

Les organisations de sauvegarde des intérêts du capital (FMI, OCDE,
OMC) alliés aux grandes banques sont devenues les acteurs essentiels
de l’organisation économique de la planète.

L’effondrement de l’empire soviétique a fait tomber les dernières
illusions, sans pour cela ouvrir les yeux, sur une stratégie absurde qui
devait ouvrir sur des lendemains qui chantent.


RETOUR A LA NATION

Devant un tel gâchis, la perte des repères traditionnels et l’absence de
stratégie politique, le vieux réflexe nationaliste a fait un retour en
force.

L’extérieur, l’étranger, l’autre redevient l’ennemi. Le repliement sur
soi est redevenu d’actualité.

Les apôtres de la haine, de l’intolérance et du racisme après quelques
décennies de silence reviennent sur le devant de la scène, se drapant
comme d’habitude dans les habits de la « défense du pauvre, de la veuve
et de l’orphelin ». Ils espèrent retrouver une virginité politique au
détriment d’une classe politique parasite et complice de la faillite
sociale, politique, économique et même morale, généralisée.

Surfant sur les inquiétudes, les scandales, les inégalités et le manque
de perspective, ils misent sur le repli nationaliste. La démagogie,
alliée au simplisme affligeant de leur raisonnement, supplée aujourd’hui
l’indigence généralisée de la réflexion politique et citoyenne.

Les vieux démons qui avaient ensanglantés le 20e siècle sont en passe de
redevenir tendance.

On est loin de la « solidarité prolétarienne » d’antan !

Cette tendance nationaliste n’a rien de surprenant. Devant la puissance
monolithique et apparemment inattaquable du capitalisme mondialisé, la
débandade généralisée des forces progressistes, la complicité des
politiciens avec le système, la désagrégation du lien social, le réflexe
classique et primaire est le repli sur soi, la défense de son immédiat
environnement social. Il y a, dans ces conditions, une partie frustrée
de la classe politique, qui n’a pas encore accès au pouvoir, qui
n’hésite pas à surfer sur la misère, le désarroi et les rancoeurs en se
donnant des airs de « Robin des Bois ». Le processus est classique et a
parfaitement fonctionné au 20e siècle en temps de crise. Le fumier de la
crise du système décadent est propice à cette évolution. Il peut à la
limite permettre au Capital de « sauver les meubles » en instaurant des
pouvoirs forts qui préviendront les conflits sociaux et logiques de
déstabilisation sociales et politiques.

Ainsi donc, l’improbable, ce que l’on croyait impossible, est en passe
de se réaliser. Pour le moment, aucun mouvement, aucune organisation,
aucun parti, aucune mobilisation n’est capable d’offrir une alternative.
Le piège dans lequel nous enferme le système, et dans lequel nous nous
sommes aussi enfermés, va nécessiter autre chose que les solutions
dérisoires qui nous sont proposées : « bien voter » aux prochaines
élections.

Février 2012 Patrick MIGNARD


Notes de Frédéric Boutet

Nous savons tous la domination du peuple par le système médiatico-politicien. L’image des électeurs du Front National est celle qu’on nous en donne de ses dirigeants. Vous savez bien qu’il n’y a pas 15% des électeurs du FN qui sont xénophobes, antisémites pas plus qu’il n’y a pas 15% des immigrés qui sont racistes anti-blancs. Il y a un sentiment anti-système parce que ce système est une horreur de domination du peuple contre l’intérêt général aux bénéfices de quelques-uns. Si nous laissons ce sentiment anti-système être récupéré par le vote FN, nous perdons du terrain avec nos idées de démocratie : nous en perdons réellement.

Nous avons une identité nationale et le poids de l’histoire est grand. Nous
parlons français des Pyrénées à Strasbourg ; c’est une réalité que de dire que le peuple ne l’a pas décidé. Ce sont les rois, les seigneurs, les banquiers italiens puis anglais, les puissants qui ont frappé de la monnaie pour lever des armées et parcouru l’Europe pour "unifier" des territoires. Ce sont les cités qui ont abandonné leur souveraineté à l’Etat. Nous sommes dépossédés de notre destin dès lors que la cité où nous habitons délaisse sa souveraineté à une entité dominatrice.

Donc, avoir une identité nationale ne fait pas de nous des va-t-en guerre pour "la patrie". CE SONT LES RICHES, LES PUISSANTS, qui VEULENT que nous PARTIONS EN GUERRE pour la PATRIE. Mais nous, le peuple, nous n’en voulons rien de cela. Ce que nous voulons, c’est pouvoir nous déterminer et permettre à l’intérêt général de s’imposer.

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