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Joseph Epstein (1911-1944) : bon pour la légende

samedi 20 novembre 2010, par Puissance Plume

Joseph Epstein est un homme hors du commun, chef militaire héros de la Résistance connu sous le nom du Colonel Gilles, puis complètement oublié pendant soixante ans. Pascal Convert en 2007 signe un livre sur la vie de cet homme-légende, héros par son humilité et son dévouement au combat contre le fascisme, légendaire par sa réussite dans le secret sur ses origines juives polonaises.

"Joseph Epstein Bon pour la légende Lettre au fils"
Pascal Convert
Editions Séguier
299 pages
2007


Impressions générales sur le livre

C’est un bouquin bouleversant, très beau.

Pascal Convert utilise une formule spécifique car le livre est une lettre adressée au fils d’Epstein : "Ton père a fait ceci", "on retrouve des traces de ton père là-bas". Georges Duffau, ce fils né en 1941, dont les origines juives, avec celles de sa mère, ont été cachées des autorités françaises et allemandes, reçoit ce livre d’histoire complet en cadeau. Combien d’orphelins auraient apprécié ne serait-ce que quelques détails de la vie de leurs parents pendant ces années sombres ?

Mais surtout, ce livre est impressionant par l’histoire qu’il raconte.

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Joseph et son père Szlama Epstein vers 1927-1928

Le personnage central est un homme hors du commun, tous les témoignages concordent à décrire cela. Déjà, adolescent à Zamosc en Pologne, issu d’une famille bourgeoise aisée, des rabbins, des entrepreneurs, des gens cultivés, des érudits, Epstein lui, prend dans son coeur la classe ouvrière et s’identifie complètement à elle au point de lui ressembler. Il milite au Parti Communiste, qui à la fin des années 1920 en Pologne est interdit dans un contexte de montée du fascisme. Il apprend très tôt la clandestinité et il apprend très tôt à masquer ses origines juives. De taille moyenne, blond, les yeux bleus, parlant couramment allemand sans accent, il y parviendra sans problème.

La montée du fascisme en Pologne, une arrestation en tant que membre militant du PC interdit, pousse Joseph Epstein à partir de sa ville natale ; la France sera sa terre d’accueil en 1931. Là, le PC n’est pas interdit, il se lie avec de nombreux militants de l’internationale communiste dans la région de Bordeaux. Le livre montre très bien le rôle joué par ces militants dans la victoire du Front Populaire aux élections en 1936 : la semaine des quarante heures, les congés payés sont en partie le fruit de leur agitation, de leurs vie passée à coller des affiches.

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Joseph Epstein à gauche dans une manifestation contre la non-intervention en Espagne en 1936

Quand Franco débarque au sud de l’Espagne en 1936 pour éradiquer les forces vives de la révolution sociale libertaire, Joseph Epstein s’engage naturellement dans les brigades internationales. Il y jouera un rôle miitaire de terrain, dans l’artillerie, bien que son commandement voulait au départ qu’il serve à l’arrière en tant qu’officier.

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Groupe d’entrainement à la guerilla en 1938

Joseph Epstein visiblement dans cette guerre jouera un rôle plus important encore dans la guerilla, l’incursion en territoire ennemi, son harcèlement par petits groupes, l’exécution de missions de sabotage, de préparation d’actions militaires.

Alors qu’en août 1938, quatre vingt dix mille soldats de l’armée républicaine franchissent l’Ebre et livrent une des batailles les plus terribles de mi-siècle, le 30 septembre, Hitler, Mussolini, Daladier et Chamberlain signent le pacte de Munich, qui signifie l’arrêt de mort de la République d’Espagne.

Le 2 février 1939, les Brigades Internationales réussissent à éviter l’encerclement et c’est la Retirada, ils sont internés comme tous les réfugiés combattants espagnols dans des camps, Epstein atterit au camp de Gurs.

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Camp de Gurs ; Epstein à droite

Joseph Epstein est libéré du camp de gurs quelques jours avant la signature du pacte Germano-soviétique en août 1939. Ce même mois, le 21, Léon Trostky est assassiné par Ramon Mercader. Puis, la guerre est déclarée, le 1er septembre c’est la mobilisation générale. Dans ces conditions, le PC est interdit. Epstein s’engage dans l’armée française mais n’y reste pas longtemps à cause de l’antisémitisme qui y règne : il rejoint la légion étrangère.

Pendant la longue attente de la "drôle de guerre" jusqu’en mai 1940, Epstein est à Lyon puis c’est la défaite en trois semaines.

La défaite de juin 1940 est l’occasion pour Pétain, qui a signé un armistice avec les Allemands [1], de désigner les acquis sociaux du Front Populaire comme responsables de la défaite de l’armée française :

Nous tirerons les leçons des batailles perdues. Depuis la victoire, l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus que l’on a servi. On a épargné l’effort : on rencontre aujourd’hui le malheur" [2].

Epstein est fait prisonnier sur le front de Soissons, envoyé au Stalag IV B de Mühlberg. Il s’en évade et grâce à son physique et son allemand courant sans accent, rejoint la Suisse et de là, arrive à Paris. Sa femme lui ouvre la porte bouleversée de le revoir et ils passent Noël ensemble.

En reprenant contact avec l’internationale communiste, de fil en aiguille, Epstein va devenir un des plus importants artisans de la lutte armée, du réseau de relations, de l’organisation secrète, de l’approvisionnement en armes et en explosifs sur la région Ile de France. Il prend dès 1941 la direction de réseaux clandestins, notamment le groupe de sabotage de la CGT.

Paula Epstein aura épousé un ami du PC, Jean-Lucien Duffau, grâce à qui elle deviendra française et masquera ses origines juive et polonaise ainsi que celles de leur fils. Elle se sera éloignée de Paris mais il lui rendra visite toute les semaines.

C’est début 1943 que Joseph Epstein, alias le Colonel Gilles, un juif étranger, est nommé chef militaire des FTPF [3] en Ile de France. On ne compte alors que 170 à 200 combattants, ce qui semble désespéré. Mais la victoire à Stalingrad sur Hitler, l’extension du mouvement de Résistance à la classe ouvrière qui entrainera la réunification syndicale permettront d’engager la bataille de Paris cette année-là. C’est cette bataille, unique en Europe, qui permettra au Général de Gaulle de prononcer la phrase "Paris Libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France".

Les axes prioritaires de cette bataille furent le sabotage des transports et l’attaque des troupes et postes allemands. A Paris, plus aucun allemand ne se promène tranquille dès lors. En interne, Epstein mène au Printemps 1943 un changement de méthode d’action : de l’habituel groupe de trois pratiqué jusque là, il propose de passer à des actions de plus grandes envergures par groupes de 6, 9 voire 12 hommes. Après des débats enragés, il obtient gain de cause et ses méthodes vont faire mouche obtenant succès sur succès sur le terrain. Par ailleurs, les notes des Renseignements Généraux ne se tromperont pas : ils analysent d’après les interrogatoires qu’entre le chef militaire, le commissaire politique et le technicien, c’est le militaire qui exerce le plus d’autorité. C’est la marque d’Epstein, un homme concentré sur le résultat des actions de terrain plus que tout autre chose.

Le 16 novembre 1943, le Colonel Gilles est arrêté, suite à la filature de Manouchian. Son nom est Estain Joseph, né le 17 octobre 1910 au Bouscat (Gironde). Cette arrestation intervient juste après l’assassinat d’un commissaire. Face à la torture, son silence malgré les interrogatoires, comme celui de Jean Moulin et de tant d’autres sera un des facteurs de leur héroïsation. Epstein va mélanger les informations, donner du vrai déjà connu, du faux, pour finalement se taire et faire perdre leur temps à ses bourreaux.

Le 11 avril 1944, il est autorisé à écrire deux lettres avant de s’avancer pour le peloton d’exécution au Mont Valérien. L’une sera adressé à sa femme, l’autre à son fils.

Les inspecteurs resteront persuadé d’avoir arrêté un français, c’est ce que la propagande dira pour annoncer les exécutions. Juste avant sa mort, Epstein a écrit son nom de guerre "Andrej" et c’est le nom d’Aubry qui sera gravé sur sa tombe.

Notes

[2Pétain, discours du 17 juin 1940

[3Francs Tireurs Partisans Français

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