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L’importance et la nécessité de la bataille juridique à Sivens

vendredi 16 janvier 2015, par Bernard Viguié

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L’importance et la nécessité de la bataille juridique à Sivens
Par Bernard Viguié, 12 janvier 2015

Lors de la réunion de la coordination des opposants au barrage du 4 janvier 2015, à laquelle j’étais invité, et dans plusieurs textes internes ou publiés sur le site "Tant qu’il y aura des Bouilles", j’ai mis l’accent sur ce que j’ai appelé les deux piliers de la bataille de Sivens qui devraient être, selon mon opinion en tout cas, la bataille juridique et la bataille sur le terrain. J’ai appuyé tout particulièrement mon raisonnement sur deux affaires, celle de Fourogue et celle des Chambaran (Center Parcs) qui se trouvent être très proches à bien des égards, de celle de Sivens, les deux imposant le respect de la loi sur l’eau (que ce soit la loi de 1992 pour Fourogue ou celle de 2006 pour les autres).

J’aurais pu l’appuyer aussi sur l’affaire du barrage de Serre de la Fare sur la Loire, qui a fait partie des grands projets d"aménagement" de la Loire dans les années 1980. Dans cette affaire, la déclaration d’utilité publique a été prise en février 1989. Les opposants se sont organisés et dès que le chantier a commencé, ils ont occupé le terrain et empêché les machines de sévir. C’est à cette période que Jean Royer, ancien ministre, maire de Tours et "grand maître" de l’EPALA (Etablissement Public d’Aménagement) avait prononcé une phrase qui peut faire penser à quelqu’un d’autre dans le Tarn, estimant que "le projet ne serait pas arrêté par 10 imbéciles"... Sauf que la déclaration d’utilité publique a été annulée en 1991 et le projet envoyé aux oubliettes, l’occupation ayant continué quelques temps après l’annulation. Les opposants avaient bien gagné la bataille juridique et la bataille sur le terrain... Mais j’en reviens aux deux exemples dont j’ai parlé le 4 janvier.

Pour Chambaran, c’est clair pour le moment : les opposants, parmi lesquels les zadistes, ont réussi à empêcher la poursuite du massacre de la zone, même si des dizaines d’hectares ont pu être saccagés. C’est dans ces conditions, après une rude bataille sur le terrain, que le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la suspension de l’arrêté pris en application de la "loi sur l’eau" (voir sur le site des Bouilles : "Center Parcs ou l’urgence d’une mise au point"). Le Conseil d’Etat a été saisi par le promoteur mais je crois qu’il va confirmer la suspension pour les raisons suivantes que je développerai peut être dans un autre texte :
- sur la question de l’urgence, le juge grenoblois n’a fait qu’appliquer la loi. Ce serait un scandale que le Conseil d’Etat, juge de cassation, estime qu’il aurait du déroger à la loi. Je n’ose y croire.
- sur la question du "doute sérieux" sur la légalité de l’arrêté "loi sur l’eau", alors qu’UN SEUL motif de droit suffisait pour suspendre l’arrêté, le juge a pris soin de dire qu’il y avait DEUX "moyens de droit" (deux motifs) qui doivent permettre d’annuler l’arrêté : un de procédure, le défaut de consultation de la commission du débat public, et un sur le fond, portant sur le défaut de compensation des zones humides. Certes, Pierre et Vacances (le promoteur) essaie de régulariser la procédure depuis décembre. Une "commission particulière du débat public" vient d’être nommée à sa demande le 7 janvier 2015. Mais de toute façon, le second moyen ne pourra pas être régularisé. Or l’appréciation des faits, portant sur l’insuffisance de la compensation de la zone humide, ne relève pas du Conseil d’Etat, qui est juge de cassation -et non d’appel- en référé. Il ne juge que le droit. On peut donc espérer que le Conseil d’Etat confirmera la suspension. Si tel est le cas, la position des opposants sera encore renforcée. Elle confirmera que c’est à bon droit qu’ils se sont battus pour faire arrêter le chantier, ce qui me semble très important, comme je l’ai dit le 4 janvier.

Pour Fourogue, c’est clair depuis longtemps  : nous avons gagné la bataille juridique, au début, en 1997, et à la fin, après diverses entourloupes. Mais nous avons perdu la bataille sur le terrain puisque le barrage a été construit même si on sait qu’il est resté illégal. Conclusion : nous n’avons pas eu les deux piliers pour bien construire la victoire, comme à Serre de la Fare.

Pour Sivens, pour le moment, c’est tout simplement l’inverse. La bataille à ce jour a été perdue en justice mais gagnée sur le terrain par les opposants dont les zadistes. Le chantier est arrêté. Or depuis novembre 2014, ceux-là même qui ont lancé la bataille juridique fin 2013 l’ont tout simplement abandonnée ! Un élément nouveau, le rapport Forray-Rathouis, venait renforcer considérablement leur position, mais alors que les opposants pouvaient porter un coup sérieux aux arrêtés, ils ont décidé de ne pas attaquer. Pire, ils ont fait une manœuvre qui, si elle avait abouti, aurait été une véritable capitulation en rase campagne dans cette bataille : ils ont demandé l’abrogation des arrêtés ! "Obtenir" l’abrogation dans de telles conditions, c’était renoncer à l’annulation des arrêtés et en conséquence, reconnaître que Manuel Valls avait pu légitimement envoyer la troupe pour défendre ces arrêtés en 2014 ! Alors que si les arrêtés sont annulés, cela signifie que tout ce qui a été fait ensuite par l’Etat et la CACG ne repose sur rien ; puisqu’un arrêté annulé est censé n’avoir jamais existé, je le répète.
Pourquoi avoir fait une telle chose ? C’est ce à quoi je vais essayer de répondre ici.

l’abandon de la bataille juridique

Nul ne sait à ce jour d’où est venue l’idée de demander l’abrogation des arrêtés le 21 novembre 2014. Une chose est sûre : l’idée de demander l’abrogation des arrêtés ne vient pas de Collectif Testet, qui n’en avait jamais délibéré avant le 21 novembre. Elle vient donc soit de FNE soit d’un avocat.

Je ne peux pas imaginer que l’idée de demander l’abrogation vienne de l’avocat de France Nature Environnement. Si c’était le cas, ce serait consternant sur le plan technique. On n’a jamais vu en effet un tel Ovni juridique que de faire une demande d’abrogation en plein cours d’une instance en annulation qu’on a de bonnes chances de gagner, sauf si c’est dans le cadre d’un accord passé avec les adversaires. Or, ici, il n’y avait même pas d’accord, simplement un excès de zèle gratuit, visant à servir la soupe à l’Etat, qui a tourné court du fait de l’intransigeance du Conseil général et de la CACG. J’ai démontré que, du fait que l’instance en annulation est en cours, FNE et Ben Lefetey ne peuvent absolument rien faire contre le refus d’abroger du préfet (voir, site des Bouilles, article "Le point sur la situation au 1er janvier 2015, Volet 2"). C’est pourquoi je viens de qualifier la demande d’abrogation d’excès de zèle gratuit, visant à servir la soupe à l’Etat : Il n’a tenu qu’à l’Etat et au Conseil général de ne pas pouvoir et de ne pas vouloir profiter de ce beau cadeau pour Noël.

Mais il n’y a pas qu’un énorme problème technique. Si l’idée de demander l’abrogation venait de l’avocat de FNE et de Collectif Testet, cela poserait un très gros problème de déontologie. En effet, un avocat peut défendre plusieurs parties dans un même procès mais à une condition : que ces parties aient le même intérêt. Un avocat (sauf à ce que ce soit une honte pour la profession) ne peut défendre les intérêts d’un client au détriment des intérêts d’un autre client dans la même affaire. Or, chacun peut noter que la demande d’abrogation a été signée d’abord par FNE National, qui n’est pas partie aux procès de Sivens, puis par Ben Lefetey "pour collectif Testet" (à ses dires), qui est partie au procès, et FNE Midi-Pyrénées, alors que rien n ’empêchait techniquement FNE national de faire, seule, cette demande d’abrogation...

Les trois personnes qui ont signé ayant bien pris soin de s’associer pour signer, je vais ici démontrer que FNE national et collectif Testet ont des intérêts différents dans une telle démarche, de sorte que chacun pourra s’interroger librement sur le problème.

En effet, pour collectif Testet, personne ne pourra trouver un intérêt quelconque à avoir signé une telle demande d’abrogation dès lors que les instances en annulation étaient en cours. Ni Ben Lefetey ni Alice Terrasse n’ont d’ailleurs pu en donner la moindre once de justification valable ! Ils ont voulu la justifier par la demande d’abrogation de Notre Dame des Landes, mais celle-ci n’avait rien à voir, étant intervenue 3 ans après le rejet de la demande d’annulation.
On va comprendre ici, que si Collectif Testet n’avait AUCUN intérêt à cette demande, ce n’était pas le cas de FNE National. FNE national est depuis longtemps le prototype de l’association institutionnelle en matière d’environnement. Plus de la moitié de ses recettes viennent de l’Etat ou d’organismes directement liés à l’Etat, le ministère de l’Environnement étant son plus gros contributeur. Selon ses budgets publiés, FNE a reçu 1.048.500€ de ce ministère en 2009, 1.142.500€ en 2010, mais depuis 2011 elle ne détaille plus ce qu’elle reçoit des ministères... Ceux qui veulent avoir une idée du fonctionnement de cette prétendue "ONG" peuvent se référer à un livre de Fabrice Nicolino, rescapé de Charlie Hebdo : "service de la soupe" dans certaines commissions et au Grenelle de l’environnement, établissement d’une "caste" de dirigeants qui sont une sorte de "fonctionnaires-associatifs"* , qui ont leurs entrées dans les administrations et qui émargent au Conseil Economique et Social ou dans d’autres structures, partenariats douteux mais lucratifs avec certaines sociétés comme Véolia, Suez ou Compo qui n’ont pas fait dans la dentelle pour la défense de l’environnement, caution douteuse au label de commercialisation du bois PEFC, etc, etc (voir F. Nicolino, "Qui a tué l’écologie", chap 6 "FNE qui aime bien les pesticides", édition LLL, avril 2011).

FNE aime bien tenir certains discours aux termes desquels elle "ne cèdera pas", elle a engagé "un bras de fer", etc ; Elle tient des discours convenus sur la défense de l’environnement dans les médias ; elle aime bien aussi parler des "conflits d’intérêts"... chez les autres. Mais elle sait bien depuis longtemps comment elle est financée et jusqu’où elle peut aller dans la critique et dans les actions. Qui peut imaginer, après ce qui s’est passé à Sivens, FNE National engageant un bras de fer juridique avec son principal contributeur de fonds ? On peut donc aisément comprendre que FNE avait quelque intérêt à arranger la sauce pour l’Etat, et cela d’autant plus que Ségolène Royal avait laissé entendre clairement qu’il faudrait revoir le projet. Si personne n’avait parlé de l’affaire de l’abrogation et si cette magouille avait réussi, FNE aurait crié sur tous les toits qu’elle avait obtenu une bonne solution, sans crier sur les mêmes toits qu’elle avait bien arrangé les affaires de Manuel Valls (et les siennes) !

Il faut bien voir que si FNE national avait demandé seule l’abrogation, cela ne présentait strictement aucun intérêt, puisqu’elle n’était pas partie aux instances en annulation : cela n’aurait rien changé aux instances ouvertes par collectif Testet qui seraient allées à leur terme. Pour arranger ses affaires et celle du gouvernement, FNE DEVAIT associer Collectif Testet à sa demande, même si collectif Testet n’y avait AUCUN intérêt. C’est ce qu’elle a fait ! C’est là qu’il y a un très gros problème. Je sais que ces problèmes de droit ne sont pas faciles à comprendre pour tout le monde mais j’espère que l’immense majorité des opposants au barrage se rendent compte de la gravité de telles manœuvres, dont un dirigeant de collectif Testet a été complice et dont ils n’ont JAMAIS ETE INFORMES.

On notera que le comportement de FNE en novembre ne l’a pas empêché de lancer en décembre un appel aux dons. Alors que FNE n’avait pas appelé au rassemblement du 25 octobre à Sivens, que Rémi Fraisse était là comme beaucoup d’autres en son nom personnel, FNE n’a pas hésité à se prévaloir de sa mort pour lancer cet appel aux dons. A chacun sa dignité.

Voici un extrait du texte diffusé par le trésorier de FNE : "(...) je fais un appel à don, pour que l’association de protection de la nature et de l’environnement dont je suis le trésorier à savoir FNE Midi-Pyrénées puisse agir en justice. Vous avez probablement suivi l’affaire du barrage de Sivens sur les médias avec le décès de Rémi, jeune naturaliste adhérent de FNE Midi Pyrénées. (...) On peut alors légitimement s’interroger sur les raisons qui ont conduit à la décision et au démarrage des travaux de ce barrage sans que rien ne puisse arrêter le processus, sauf le décès de Rémi. Pour stopper ce projet, faire toute la lumière sur les conditions de son élaboration, et remettre au centre des processus décisionnels la parole des citoyens et des associations, FNE Midi-Pyrénées envisage d’agir en justice. Les frais de justice sur ce type de dossier sont très importants et difficile à assumer financièrement pour une association. C’est pourquoi nous faisons un appel à don." 

Quand on sait ce qu’a fait FNE en novembre, si ce texte de décembre n’est pas de la tromperie, c’est quoi ? FNE a refusé d’agir en référé en novembre. Pire, elle a fait une demande administrative d’abrogation. Et elle fait appel aux dons en décembre parce qu’elle "envisage d’agir en justice" ! alors que les actions contre les arrêtés du barrage ont été engagées en 2013 !

l’importance de la bataille juridique

Chacun est libre de critiquer les institutions, leur fonctionnement et les lois qui nous gouvernent. Chacun aussi est libre de tout accepter avec le fatalisme des moutons, de ne penser qu’à lui, de suivre aveuglément tel ou tel gourou, de penser que la liberté d’expression la plus pure consiste à ne pas mettre un mot plus haut que l’autre et de manifester ou pas contre le terrorisme en défilant derrière un chef d’Etat qui a fait bombarder des écoles de l’ONU à Gaza.

Mais il me semble de bon principe que, quand on a décidé de se battre et qu’on a des armes juridiques à disposition, la dernière des choses à faire est de les laisser à l’adversaire, que ce soit volontairement, par simple incompétence, ou par négligence : Ce sont les lois qui permettent de poursuivre des gens devant le tribunal correctionnel. Et devant le tribunal correctionnel, si ces gens souhaitent se défendre, ils se défendent en utilisant les lois et parfois la loi sur l’aide juridictionnelle. Ce sont des lois qui ont permis au préfet de prendre les arrêtés concernant le barrage. Mais ces arrêtés doivent respecter les lois françaises et européennes qui leur sont applicables. Si ce n’est pas le cas, comme je le pense, il me semble qu’il serait ahurissant soit d’abandonner une bataille judiciaire qui doit être gagnée, soit d’estimer que ce ne serait pas important de gagner en justice ou de s’intéresser aux problèmes juridiques. Le juge administratif est là pour sanctionner l’administration et l’Etat quand ils ne respectent pas la loi. Avec de nombreux opposants au barrage, je pense que nous n’avons aucun cadeau à faire à l’administration, vu ce qui s’est passé à Sivens. L’opposition doit être sur ses deux jambes comme à Serre de la Fare, pas dans les salons de la préfecture.
"Un spectre hante désormais le monde de l’écologie, c’est celui de la mignardise. Il faut être gentil, constructif, bienveillant, positif, bien élevé" : Ce sont les mots de Fabrice Nicolino au début de son livre. Voulons-nous de ce monde à Sivens, après ce qui s’est passé ?

* en 2012, la moyenne des 5 plus hauts salaires de FNE était supérieure au salaire que l’on a reproché à Thierry Lepaon, dirigeant de la CGT, en 2014, selon les dernières sources de FNE sur cette question

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