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Eva Sternheim-Peters : une jeunesse dans le National-socialisme

jeudi 2 juillet 2015, par Cercle philosophique Résurgence , Puissance Plume


Résumé du bouquin par le cercle philosophique Résurgence

Habe ich denn alleine gejubelt ? (Étais-je donc la seule à applaudir ?)

Eine Jugend im Nationalsozialismus (Une jeunesse dans le National-socialisme)

Eva Sternheim-Peters, 1992, réédition 1999

Eva Sternheim-Peters est née à Paderborn, Westphalie, en 1925 d’un père professeur de biologie et d’une mère issue de la grosse paysannerie. Le milieu dans lequel elle grandit est catholique et conservateur. Au moment de la prise de pouvoir d’Hitler, elle a huit ans et entre dans le moule du régime à travers les jeunesses hitlériennes. Elle soutient le système jusqu’à sa chute en 1945. Elle subit ensuite un choc lorsqu’elle apprend les horreurs du génocide et comprend comment elle s’est faite manipulée par l’appareil nazi. Elle épouse un juif qui a perdu sa famille dans les persécutions. A la suite de ses études de sociologie, elle écrit le livre qui documente et analyse l’époque en s’appuyant sur son propre vécu. Elle révèle sans jambage ses anciennes convictions tout en les replaçant dans le contexte et les informations alors disponibles. Son livre est précieux parce qu’il entre dans le plus profond de la conscience individuelle et collective, non pas comme observateur extérieur (sociologie husserlienne), mais comme partie intégrante d’un processus psychosocial très peu étudié jusque là.

Points exposés dans le livre (mes commentaires sur le livre entre parenthèse)

Difficulté pour l’immense majorité de la population en 1933 de pouvoir prédire l’évolution du système nazi p. 26 (la situation actuelle est similaire ; la plupart ne voient pas où mène le capitalisme et ferment les yeux sur leur propre responsabilité).

Hitler se positionnait clairement contre la bourgeoisie p.56. A la suite des graves crises économiques, la psyché des travailleurs, au paravent au chômage chronique, s’est sentie libérée dès qu’Hitler a poussé les collectivités territoriales à ouvrir des chantiers partout en Allemagne p. 58. La propagande nazi a institué le jour férié du 1er mai et a revalorisé le travail manuel (ouvrier et paysan) pour le rendre équivalent au travail intellectuel ; promotion des ouvriers p.74. Les grands rassemblements faisaient appel à des émotions vécues collectivement, oblitérant la conscience de chacun p. 81 (processus similaire dans le capitalisme à travers la manipulation médiatique : sport, manif contre le terrorisme, etc.).

La classe ouvrière, selon les rapports secrets de 1934-1937 de la SPD illégale admet le progressif soutien de la classe ouvrière en faveur du national-socialisme (parallèle avec le soutien au FN des anciennes banlieues rouges).

Eva se souvient de manière positive de son idéalisme de l’époque qui lui a donné de la vigueur et elle n’envie pas la génération d’après-guerre qui est faiblement idéaliste p.90. Chapitre III : L’antisémitisme chronique d’avant-guerre (depuis le XIXe siècle) n’a pas paru dans cette société chrétienne, elle-même profondément antisémite, comme étant d’une qualité nouvelle avec l’avènement du National-socialisme (antisémitisme identique en France).

Alors que les Allemands après la guerre ont refusé de reconnaître leur antisémitisme d’avant, ils ont approuvé la restriction des droits des juifs par l’État nazi. Toutefois, la tentative de faire participer massivement les Allemands à des pogroms lors de la « Nuit de cristal » a échoué (seul en Autriche une part significative de la population s’y est jointe. Les dirigeants nazis se sont résolu a donner l’ordre d’arrêter les exactions dans les 48h. L’exclusion des juifs du système scolaire et universitaire, des institutions culturelles, des emplois, du sport, etc. a été organisée de manière très astucieuse en faisant admettre que les juifs faisaient parti d’une autre nation (ils devenaient des étrangers) et qu’ils pouvaient (sous la protection de l’État) organiser leurs propres institutions ; loi raciale de 1935. Les Allemands ne se sont pas posé de questions après la disparition en 1941 des porteurs de l’étoile juive, qui étaient souvent emmenés de nuit (De nos jours, ce sont les maghrébins qui sont ostracisés de manière plus ou moins insidieuse ; même les chercheurs ont tendance à essentialiser l’islam, point de vue que le livre indiqué ci-après critique http://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature-etrangere/marxisme-orientalisme-cosmopolitisme).

Les femmes et les enfants ont été les cibles privilégiées de la propagande nazie p. 189. A travers les discours du parti, les caciques veulent promouvoir l’égalité des droits pour les femmes (droit de vote étant déjà acquis depuis 1919). Un sentiment de progrès du statut des femmes se développe, qui pour l’époque était unique en Europe : dans les jeunesses hitlériennes les jeunes filles étaient dirigées par aînées de 3-4 années plus âgées. Même si les femmes laissaient le discours politique de « comptoir » aux hommes p. 190, elles se laissaient volontairement enrôler pour la procréation de futurs « héros » p. 328 et choisissaient des hommes qui allaient se battre sur les fronts les plus dangereux p. 326 et 330. Les dirigeants s’emparent du jeunisme : « la jeunesse a toujours raison » p.194. Tout est fait pour soustraire les jeunes de l’influence parentale. Le système cherche à affaiblir la raison et les opinions politiques divergentes : contrôler l’esprit des jeunes avant l’âge de 11 ans p. 192-195 (Le capitalisme consumériste cible aussi les enfants et les femmes puisque ces groupes sont les prescripteurs : le ludique pour les loisirs et l’agréable pour assurer un confort sont ressentis comme absolument nécessaires ; la violence et la destruction de l’environnement sont délocalisées, partiellement médiatisées, mais non reliées à la praxis quotidienne ; chacun fermant les yeux sur ses propres responsabilités. Les nazis ont été les précurseurs d’un système optimisé par le capitalisme).

Quand je demande à Eva si elle voit actuellement se mettre en place un processus fascisant. Elle me répond que c’est une évidence. Il n’est donc pas étonnant qu’elle éprouve des difficultés à trouver un éditeur stable depuis plus de 20 ans puisqu’elle révèle des schémas peu avouables qui se reproduisent quand ils sont occultés. En présentant ses travaux et ses expériences dans les lycées, les universités, les librairies, etc., cette dame de 90 ans lutte avec idéalisme et vigueur contre la résurgence du fascisme. Les générations actuelles devraient trouver une énergie juvénile comparable à la sienne, non seulement pour lutter politiquement contre la nouvelle version capitaliste du fascisme, mais aussi réduire leur collaboration avec le capitalisme (dans le sens « collabo » de la seconde guerre mondiale), tant dans leur pratique de consommation que de production : incarner une autonomie crédible et découplée au maximum de celui-ci.


Autres éléments par Puissance Plume

La page de Eva Sternheim-Peters (en allemand) : www.sternheim-peters.de.

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