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Défaites militaires et révolutions ou les champions de l’ordre social

mercredi 27 octobre 2010, par Puissance Plume

Un des éléments de l’Histoire qui m’interpelle est le fait que les défaites militaires s’accompagnent de mouvements révolutionnaires et que les dirigeants ayant conduit à la défaite sont plus inquiets par ces troubles révolutionnaires que par les conséquences de la défaite.


25 mai 1940 - Paris - Paul Reynaud [1]

Le 25 mai 1940, le Général Weygand fait un exposé dramatique : il ne croît pas pouvoir empêcher les Allemands de progresser, et il est hanté par l’idée d’être déshonoré en cas de défaite. L’exposé de Weygand eut un tel impact d’après Roland de Margerie [2], que malgré sa volonté de ne pas fléchir, le président du Conseil Paul Reynaud fut saisi par le doute. Avant de partir pour Londres exposer la situation au cabinet de guerre britannique, il tient ce discours à son collaborateur :

D’ici quelques jours, l’armée française subira, avec les soixante divisions qui lui restent, l’assaut de cent cinquante divisions allemandes. Une telle disproportion de forces rend la résistance à peu près inutile, en tout cas la défaite assurée. Or, en France, les désastres militaires s’accompagnent toujours de troubles révolutionnaires. Pourquoi ne pas chercher à sauver ce qui peut encore être sauvé ? Et pourquoi ne pas traiter pendant qu’il est encore temps ?

Où l’on voit que pour le président du Conseil de la IVè République française :
- la résistance est "à peu près inutile" : heureusement que tout le monde n’a pas dit la même chose !
- l’honneur des généraux serait préservé s’ils signaient un arrêt "négocié" des combats,
- il se sent permis de prétexter qu’en cas de défaite proclamée, il y aurait des "troubles révolutionnaires" et que tant qu’à perdre, autant ne pas perdre sur tous les plans pourrait-on croire.


26 mai 1940 - Londres - Paul Reynaud [3]

Toujours selon Roland de Margerie, voici les propos de Paul Reynaud tenus auprès du cabinet de guerre britannique :

On se battra alors sur la ligne de la Somme à l’Aisne, avec soixante divisions contre cent cinquante divisions allemandes. En ce qui concerne les effectifs, chaque division aurait à tenir un front de quinze kilométres au moins sans réserve à l’arrière. En ce qui concerne le matériel, la supériorité allemande en divisions blindées est écrasante. Le général Weygand considère que la nouvelle ligne sera certainement crevée. Mais l’installation s’en poursuivra et l’armée française se battra même sans espoir. Ensuite il y aura la ligne de la Seine. Là encore on s’accrochera. Mais Paris pourrait être menacé, et dans cette région qui contient 70% de nos industries de guerre, les possibilités voire les probabilités de révolution ont toujours marché de pair avec la défaite militaire, facteur ignoré en Angleterre. Tout gouvernement français se doit à lui-même de conserver les moyens militaires de réprimer des troubles révolutionnaires.

On voit quelles sont les préoccupations de ces haut-gradés : conserver leur domination sur le peuple français après la défaite militaire. Cela signifie signer un armistice et accepter les conditions totales de l’adversaire, se soumettre à lui totalement. Ceci paraît à leurs yeux moins important que de mâter des éventuels troubles révolutionnaires dans Paris. Cette préférence a peut-être un goût d’amère revanche suite à la "Commune de Paris" ?


Juin 1940 - Maréchal Pétain [4]

Lors de la signature de l’armistice par Pétain, la délégation française précisera au général allemand Von Stüpnagel :

"Le maréchal [...] a accepté de signer l’armistice pour sauver son pays de la révolution et de la ruine".

Déjà, le Maréchal n’a pas "accepté" l’armistice, il l’a imaginé, voulu, défendu en conseil des ministres, fait porter par des généraux, des haut-fonctionnaires, des députés.

Ensuite, on retrouve ce prétexte fallacieux de prévenir des révolutions : comme si ces gens représentaient plus la France que son peuple ne la représente : des troubles révolutionnaires seraient plus importants à prévenir que de tenter de sauver la France en résistant jusqu’au bout à l’envahisseur.

En fait, c’est Hitler lui-même qui explique le mieux l’attitude de ces généraux :

Vous pouvez m’en croire, j’entrerai chez les Français en libérateur. Nous nous présenterons aux petits bourgeois français comme les champions de l’ordre social [...]. Ces gens-là ne veulent plus rien savoir de la guerre et de la grandeur [5].

Ces mots du Fürher ne sont pas sans laisser quelques craintes en faisant le rapprochement avec le ressentiment créé par les grèves de la rentrée 2010 suite à la nouvelle loi sur la retraite imposée par la droite sarkozyste. Ils se présentent effectivement de plus en plus comme les "champions de l’ordre social"...

Notes

[1D’après Eric Roussel Le naufrage Gallimard 2009

[2Roland de Margerie, Souvenirs

[3D’après Eric Roussel Le naufrage Gallimard 2009

[4d’après Pascal Convert - Joseph Epstein, bon pour la légende Séguier - 2007

[5Cité par Henri Guillemin, La Vérité sur l’affaire Pétain, Ed. D’Utovie, 1996 p. 31

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