Accueil > Environnement > Polluants > Nucléaire > Cogestionnaires > Negawatt® : les anti-antinucléaires

Negawatt® : les anti-antinucléaires

jeudi 1er novembre 2012, par Puissance Plume

Des militants-maillons de chaîne humaine se demandent pourquoi nous ne pouvons pas marcher avec eux en proposant « notre » scénario d’arrêt immédiat. Les réponses nous semblent évidentes mais une explication argumentée permettra peut-être de préciser notre position. Ceux qui proposent des scénarios de « sortie progressive » du nucléaire peuvent être rassemblés sous la bannière de l’association Negawatt®, marque déposée n°3269883, dont ils partagent la philosophie. Pourquoi les qualifions-nous d’« anti-antinucléaires » ? Les antinucléaires peuvent-ils marcher aux côtés des anti-antinucléaires ? C’est la question du jour.


Question de perception du danger ?

La Terre a 4,5 milliards d’années. L’Uranium 238, qui représente 99,28% de l’uranium naturel, a une période de 4,51 milliards d’années, ce qui signifie que la radioactivité de cet élément a été divisée par deux depuis l’origine de la Terre. La seule catastrophe de Fukushima a triplé le bruit de fond radiologique de l’océan Pacifique[1]. Les nucléaristes vont-ils nous ramener à l’âge du Big Bang ?

En 1982, lors d’une audition devant un comité du Congrès américain, l’amiral Hyman Rickover, artisan dans les années 1950 du prototype du réacteur Mark I – qui sera largement diffusé à travers le monde, notamment au Japon –, ingénieur en chef du Nautilus (le premier sous-marin américain à propulsion nucléaire) et de la première centrale nucléaire américaine de Shippingport (Pennsylvanie), promoteur acharné de la prolifération de l’énergie nucléaire “civile”, icône du complexe militaro-industriel américain, dira, en réponse à une question sur le bien-fondé du développement du nucléaire :


« Il y a deux milliards d’années, la vie n’existait pas sur la Terre à cause des radiations. Avec la puissance nucléaire, nous créons quelque chose que la nature a essayé de détruire pour rendre la vie possible… Chaque fois que vous générez de la radioactivité, vous produisez quelque chose qui continue d’agir, dans certains cas pendant des millions d’années. Je crois que l’espèce humaine va provoquer son propre naufrage, et il est essentiel que nous ayons le contrôle de cette force horrible et que nous essayions de l’éliminer… Je ne crois pas que la puissance nucléaire vaille la peine si elle génère du rayonnement. Alors vous allez me demander pourquoi j’ai développé des navires à propulsion nucléaire. C’est un mal nécessaire. S’il ne tenait qu’à moi, je les coulerais tous… Ai-je répondu à votre question ? » [2]

Pour nous, le nucléaire ne peut pas être inclus dans un package marketing avec le changement climatique et les gaz de schiste : l’arrêt du nucléaire est prioritaire. Le minimum, c’est d’arrêter l’entretien du processus de fission dans les réacteurs nucléaires parce que la radioactivité est y
multipliée par des millions, avec apparition d’éléments artificiels, et parce qu’à tout moment la réaction de fission peut échapper au contrôle et entraîner une catastrophe.

En France, quelqu’un dit qu’on pourra fermer les réacteurs nucléaires dans vingt ans. Or, il est possible d’arrêter 25 réacteurs demain grâce aux capacités thermiques [1] et le reste en trois ans, sans même changer quoi que ce soit à nos consommations écoeurantes ni bouleverser nos institutions. Théoriquement, si l’on remplaçait tous les réacteurs nucléaires, 443 en service dans le monde, par des centrales thermiques à gaz, les émissions de gaz à effet de serre n’augmenteraient que de 0,26%[3].

Celui qui propose une sortie progressive n’envisage pas l’explosion d’un réacteur nucléaire comme un danger crédible, immédiat, et inacceptable. C’est toute la différence avec nous, qui, après avoir considéré attentivement ce qui s’est passé en Ukraine, Bélarus et Russie après Tchernobyl, avons définitivement la conviction que l’arrêt des réacteurs nucléaires est une priorité absolue, qui tient de l’existentiel.
Quand on veut arrêter les réacteurs nucléaires, comment considérer ce quelqu’un qui veut les faire durer encore vingt ans ? Si la première attitude est bien antinucléaire, comment qualifier la seconde qui s’y oppose ? Nous ne pouvons pas l’appeler « pronucléaire ». Alors nous
l’appelons « anti-antinucléaire » puisqu’elle s’oppose à la prise en compte de la nature absolue du nucléaire et du danger non moins absolu qu’il constitue.

La divergence ne porte pas sur une question de scénario, ni sur une question de calendrier, c’est une question éthique . Ramener le scénario Negawatt® à 15 ans ne modifierait en rien sa philosophie qui s’oppose à celle de l’arrêt immédiat [2]. C’est le principe de la balance : personne
ne peut être simultanément sur les deux plateaux, chacun ne peut rejoindre l’autre sans faire pencher la balance de l’autre côté. Ce sont des philosophies qui s’opposent.


Perception de la catastrophe

Cela fait trente ans qu’on parle d’une prochaine catastrophe nucléaire en France. Une génération est passée et rien de tel ne s’est produit. On n’a fait que la frôler, par exemple le 26 décembre 1999 au CNPE du Blayais (33). La catastrophe nucléaire semble donc être une chose étrangère à
la France. Chez l’opérateur, les agents EDF et les nucléaristes de la CGT se contentent du discours « tant que ce sera service public, il n’y aura pas de catastrophe », anticipant déjà un discours post-catastrophe : « on l’avait bien dit, à force de laisser la logique financière... », qui sert d’excuse à leur collaboration cupide à l’installation du régime totalitaire nucléariste sur les peuples.

Mais la catastrophe nucléaire est pourtant bien à nos portes. On fait circuler des voitures sur des routes, certaines carambolent. On envoie des avions dans le ciel, certains se crashent. On fait naviguer des pétroliers, il y a des marées noires. On lance des fusées, certaines explosent en vol. On exploite des réacteurs nucléaires, certains explosent. La catastrophe fait partie intégrante du processus, si bien qu’elle ne peut pas être qualifiée d’« accidentelle », puisque son occurrence est certaine.

C’est pour cela que les nucléaristes internationaux ont forgé leurs propres connaissances sur la gestion des populations en territoire contaminé par Tchernobyl, puis essaient de nous faire admettre, propagande à l’appui, que vivre en territoire contaminé n’est « pas si grave »[4].

D’autre part, nous savons qu’arrêter tous les réacteurs nucléaires ne permettrait pas de faire disparaître la menace d’une contamination massive aux radio-nucléides car toutes les piscines d’entreposages des combustibles nucléaires, neufs ou usés, peuvent provoquer des rejets
gigantesques. Celà permettrait néanmoins d’éliminer les possibilités d’une catastrophe causée par la perte de contrôle de la réaction de fission : c’est le problème. À Tchernobyl et à Fukushima, les corium sont un des résultats de cette perte de contrôle des opérateurs. Et au Japon, le pire est peut-être encore à venir, puisqu’un nouveau tremblement de terre pourrait faire s’effondrer la piscine n°4 de Fukushima Dai-ichi.

Au mieux, les Negawatt® nient la possibilité d’une catastrophe nucléaire, au pire, ils vont dans le sens des nucléaristes : « vivre en territoire contaminé n’est pas si grave ». Nous avons demandé sans succès à ces ingénieurs d’insérer une catastrophe nucléaire dans le modèle de
simulation numérique de leur scénario. Il semble qu’une caractéristique de la mouvance Negawatt® soit bien d’être incapable d’envisager l’occurence de l’inévitable.


Question de génération de réacteurs ?

L’association Negawatt® dévoilait le jeudi 29 septembre 2011 à Paris son scénario énergétique avant la campagne électorale que le parti unique « croissance et nucléaire » a bien entendu gagné puisqu’il était seul candidat.


Dans sa présentation liminaire, Thierry Salomon a évoqué trois problèmes majeurs posés par notre consommation d’énergie, et je cite dans l’ordre : « L’urgence climatique, la fin des fossiles faciles et pas chers et le nucléaire dans sa génération actuelle ».

Je relève que dans cette phrase le danger potentiel injustifiable du nucléaire est relégué à la troisième place derrière l’urgence climatique mais aussi qu’une autre génération nucléaire ne serait pas exclue. Lors de la prononciation de cette phrase, j’avais à l’esprit que Nicolas Hulot était il y a quelques années contre les réacteurs actuels mais favorable à la
génération 4, ce qu’il n’a depuis je crois pas démenti. Aussi, lors des questions du public, j’ai demandé un éclaircissement à Thierry Salomon sur "la génération actuelle". Il a répondu que ma question était astucieuse, et que la réponse serait donnée lorsque seront abordés
les moyens de production d’énergie... [5]

Les pronucléaires veulent développer le nucléaire, sous toutes ses formes. L’association Negawatt® n’est donc pas a priori pronucléaire puisqu’elle veut en finir avec la génération III : pas de construction de réacteurs nucléaires EPR. Mais puisque son président maintient un flou
artistique sur ce que les nucléaristes appellent « la génération IV », le doute subsiste ... Doute qui bénéficie à l’Etat dans l’Etat, le CEA, qui se vote les crédits visant à construire un parc de RNR (Réacteur à Neutrons Rapides) dont le prototype ASTRID se ferait sur l’INB [3] de Marcoule.

Ce doute est insupportable : comment peut-on ne plus vouloir de l’actuelle génération qui met en oeuvre la fission d’un combustible Uranium, contrôlée du mieux qu’on peut, et en même temps accepter une nouvelle génération qui ferait la même chose mais avec un combustible encore plus radioactif et radiotoxique ?

Que le président de Negawatt® lève ce doute et on verra ! En attendant, cela nous renforce dans notre conviction de qualifier l’association d’anti-antinucléaire.


Questions de société, révolution ou réforme ?

Les militants Negawatt® sont des réformateurs : ils n’envisagent visiblement toute transition que par voie légale et sans heurts. Nous sommes des militants qu’on peut qualifier de révolutionnaires parce que les changements que nous envisageons remettent en cause l’Etat, sa
légitimité et sa légalité à imposer le nucléaire. Mais nous sommes pour l’élimination de toute violence. Nous sommes pour que l’amour, l’empathie soient les fondements de nos vies et des institutions de la société.

Cependant, pour que deux personnes vivent en paix, il faut que les deux veuillent la paix. Le nucléaire étant imposé par la force brutale, il nous apparaît que ceux qui l’ont imposé n’ont l’intention de nous laisser en paix, ni psychiquement, ni physiquement. Ils ont déjà tué directement et intentionnellement pour imposer le nucléaire[6], ils recommenceront.

C’est pourquoi, sauf à accepter l’esclavagisme abject qui aboutit à vivre avec un dosimètre autour du cou, utiliser la force peut paraît inéluctable afin qu’advienne une paix libérée des nucléaristes. Ceux qui ne l’admettent pas sont condamnés à recevoir des coups très durs de la
part des mercenaires formés par les nucléaristes dans leurs chenils de la désinformation, comme à Malville le 20 juillet 1977, sans préparation ni psychologique, ni physique. Tant que cette préparation n’a pas été réalisée, il vaut mieux que les chefs invitent les manifestants à
aller sur le bord des routes en chaîne humaine. Mais nous pouvons que regretter qu’une chaîne de 60 000 personnes ne puisse pas être utilisée pour empêcher l’accès à une INB...

Chez certains Negawatt®, comme chez les pronucléaires, l’image d’une victoire de l’arrêt immédiat, avec l’arrêt des réacteurs nucléaires et des projets de RNR, donne l’impression d’une dictature. En effet, une majorité de gens qui veulent vivre libres et en paix, disons 95% des gens,
imposerait leur volonté aux 5% dont la nature est d’exploiter les autres pour s’enrichir et/ou exercer une domination.

Aujourd’hui, c’est l’inverse : c’est la minorité de cupides autoritaires qui impose sa loi aux 95%. On leur dit avec insistance qu’il n’est pas possible de vivre sans nucléaire, ils le croient. On a parfois l’impression que beaucoup de gens sont cupides et autoritaires parce qu’ils occupent des postes qui les y obligent, mais ce n’est pas leur nature profonde. Ils sont piégés, ils n’y sont pour rien, mais nous non plus. Tant pis pour eux. Ils subiront nos assauts.


La poursuite du monde technicien...

Enfin, l’association Negawatt® ne remet à aucun moment en cause la technique et sa domination sur le monde : c’est un monde d’ingénieurs qui proposent de passer de l’ordre atomique à l’ordre des énergies renouvelables en utilisant les arguments de l’innovation, des emplois, de la croissance. Ils font mine de proposer, ils feignent la neutralité vis-à-vis de la politique politicienne, tandis qu’en sous-main, l’alliance pronucléaire PS/EELV utilisait leurs arguments et les citait à-tout-va dans les campagnes électorales du printemps 2012[7].

Nous ne reprendrons pas ici tous les arguments contre le monde technicien mais ferons une liste d’auteurs : Jacques Ellul, Simon Charbonneau, Guy Debord, Georges Bernanos en langue française, et aussi Lewis Mumford en langue anglaise, pour ne citer qu’eux.


Notre critique des Negawatt® met donc en évidence leur incapacité à envisager l’occurrence de l’inévitable : impossible pour eux d’insérer une ou plusieurs catastrophes nucléaires dans leur scénario. A proposer un scénario dans lequel une sortie progressive du nucléaire n’apparaît que
comme la fin d’une génération de réacteurs, ils ne font qu’alimenter nos doutes sur leur compréhension de la réalité du nucléaire. Mais surtout, leur philosophie s’oppose à la notre puisqu’une sortie progressive nie la priorité absolue de l’arrêt des réacteurs nucléaires.

Nous ne jugeons pas les gens sur ce qu’ils sont mais sur ce qu’ils font. Puissent les Negawatt® faire autrement que de suivre la meute... Merci à mes relecteurs et correcteurs. PP


Références

[1] Voir Yves Miserey « Fukushima : les rejets en mer dilués par les courants », le Figaro du 3 avril 2012, cité dans « Pourritures nucléaristes », Bertrand Louart, Radio Zinzine 04300 Limans

[2] « Les sanctuaires de l’abîme, chronique du désastre de Fukushima », Nadine et Thierry Ribault , Editions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2012, p.65

[3] « Nucléaire Arrêt Immédiat, le scénario qui refuse la catastrophe » Pierre Lucot et Jean-Luc Pasquinet, Editions Golias, fevrier 2012

[4] « Du mensonge radioactif et de ses préposés » Association Contre le Nucléaire et son Monde, mars 2004

[5] « CR présentation Negawatt 2011 », Jean-Louis Gaby, 5 octobre 2011

[6] « Les mythes décisifs ; aux écoeurés de Malville » non signé, repris dans « Histoire lacunaire de l’opposition à l’énergie nucléaire », ANCM, Editions la Lenteur, 2007

[7] « Les co-gestionnaires du nucléaire », Coordination Stop Nucléaire, juin 2012

Documents joints

Notes

[1D’ailleurs, il faut noter qu’EDF utilise de plus en plus les capacités thermiques fossiles, voir « La très faible disponibilité du parc nucléaire booste le charbon en France » LaTribune.fr 15/10/2012- Revue de presse n°20 de l’Observatoire du Nucléaire.

[2Nous utilisons le terme « arrêt immédiat » par opposition aux sorties progressives : on pourrait dire « arrêt du nucléaire » mais le flou ne nous convient pas. Nous ne sommes pas pour taire les différences.

[3INB : Installation Nucléaire de Base. L’administration a créé ces structures pour encadrer les activités des nucléaristes.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0